Sol vivant


D’une importance cruciale et trop souvent négligée, la biodiversité des sols représente un axe majeur des projets conduits par le Fond Taxonomia pour la Biodiversité


Indispensable à la décomposition et au recyclage de la matière organique, elle est à la base de toute vie dans les écosystèmes terrestres. L’association a choisi troix axes d’intervention prioritaires : l’étude de l’activité et de la diversité des vers de terre, le rôle de la biodiversité des sols dans les méthodes de restauration forestière et l’impact de celle-ci dans le domaine en pleine croissance de l’agroécologie.


Diversité et fonction des vers de terre

Aristote les a surnommé « les intestins de la terre » et Charles Darwin leur a consacré un ouvrage entier en 1881.

Les vers de terre représentent la plus forte biomasse animale au sein des écosystèmes terrestres de notre planète. Cependant, comment s’organise la diversité de ces organismes et quel est son impact sur le fonctionnement des sols ? Cette question fondamentale est l’objet du programme EAST (Earthworms across Space and Time).


La biomasse à l’hectare des vers de terre est 20 fois supérieure à celle des êtres humains. Leur action sur les sols est en outre d’une importance cruciale :

  • Ils aèrent les sols par leur action sur la porosité et par les réseaux complexes de galeries qu’ils creusent inlassablement ;
  • Ils favorisent l’infiltration de l’eau et des racines ;
  • Ils opèrent une remontée des minéraux des profondeurs vers la surface ;
  • Ils modifient considérablement les communautés bactériennes des sols ;
  • Enfin, ils constituent une étape clé dans les processus de décomposition et de recyclage de la matière organique.

Le fonctionnement de leur intestin est encore mal connu mais, de par leur production enzymatique et les relations qu’ils entretiennent avec les bactéries du sol, leur capacité de digestion de la matière organique est sans égal. Ils peuvent ainsi digérer des résidus de plantes coriaces ou des composés chimiques inaccessibles à tout autre organisme vivant.

Cependant, les pratiques agricoles de ces dernières décennies ont drastiquement réduit leur densité, divisant ainsi par quatre les populations des sols de cultures en Europe. Aux Etats-Unis, les espèces invasives rapportées d’Europe ont colonisées la majeure partie du pays et fortement compactés les sols, provoquant un problème d’ampleur nationale. Dans le nord de la Chine, les espèces invasives venues de l’ouest commencent là aussi à s’installer. Enfin la déforestation tropicale entraine une pénétration d’espèces exogènes toujours plus profondément en forêt, avec souvent de lourdes conséquences pour les sols et les espèces natives.

Jusqu’à aujourd’hui, le Fond Taxonomia pour la Biodiversité a mené de nombreuses missions de terrain à travers le monde afin d’étudier la diversité taxonomique, la structure des communautés d’espèces et l’écologie des vers de terre. La majorité de ces projets se sont principalement déroulé en Amérique tropicale, en Amérique du nord, en Afrique et en Europe. Elles ont permis de découvrir de nombreuses espèces nouvelles pour la science, de renforcer nos connaissances en matière de distribution des espèces de l’échelle régionale à l’échelle continentale et d’affiner notre compréhension de l’impact des paramètres environnementaux sur la structure des communautés d’espèces. Enormément de travail reste cependant à accomplir pour appréhender le rôle des vers de terre au sein des réseaux complexes d’organismes constituant les écosystèmes. Quelle est l’impact de la structure et du fonctionnement d’une communauté de vers de terre en milieu agricole, en milieu forestier ou au sein d’une zone humide ? Quelle est la diversité des espèces à l’échelle locale et de quels paramètres dépend-t-elle ? Quelle est enfin l’impact des espèces invasives ?

Parmi les multiples projets déjà menés à bien par le Fond Taxonomia pour la Biodiversité pour tenter d’apporter des réponses à ces questions, deux ont été d’une envergure particulière et se sont déroulé sur 5 à 10 ans (lancés, ainsi, par des membres actuels de Taxonomia bien avant la fondation officielle de l’association mais repris et conduits aujourd’hui par celle-ci) : les projets “Guyane” et “Zones humides de France métropolitaine”.


Restauration forestière

Quel impact les méthodes de reforestation ou de restauration forestière ont-elles sur les organismes du sol et les insectes pollinisateurs en milieu tropical ?

En réponse, quel rôle ces organismes jouent-ils dans la régénération et la restauration des forêts tropicales ?

La majorité des forêts tropicales de la planète reposent sur des sols qui comptent parmi les plus pauvres du monde. Comment expliquer alors une telle luxuriance tant en termes de biomasse que de biodiversité ? Tandis que l’Amérique du nord compte près d’un millier d’espèces d’arbres et l’Europe (de la Méditerranée au Cap Nord et aux montagnes de l’Oural), un peu plus de 250, jusqu’à près de 300 espèces peuvent couvrir un unique hectare de certaines forêts d’Asie du sud-est pour une biomasse de 300 à 600 tonnes par hectare ! Ce paradoxe trouve son explication dans la vitesse de décomposition et de recyclage de la matière organique tombée au sol. Une feuille morte a besoin de plusieurs mois ou plusieurs années pour être décomposée sous un climat tempéré quand ce processus ne nécessite que quels jours à quelques semaines en forêt tropicale. Par conséquent, peu de matière organique s’accumule dans un sol forestier tropical où la couche fertile n’est que de quelques centimètres d’épaisseur quand elle peut atteindre plusieurs mètres en Amérique du nord, en Europe ou dans le nord de la Chine.

Autre conséquence : quand les forêts tropicales sont coupées, ces quelques centimètres de sol fertile sont mis à nu et rapidement lessivés par les pluies. Le sol sous-jacent, dénué de toute matière organique, s’assèche alors et durci rapidement, et toute tentative de reboisement devient alors extrêmement complexe. La solution généralement adoptée consiste en un reboisement plus ou moins monospécifique d’espèces à croissance rapide, souvent exogènes, qui ne respecte en rien les mécanismes de successions végétales classiques des régénérations naturelles et aboutit à des forêts à la biodiversité très éloignée de celle des forêts originelles. Des millions d’hectares sont ainsi plantés chaque année. Si ces pratiques ont un aspect positif en tant que puit de carbone, elles ne freinent en rien l’effondrement de la biodiversité, voire dédramatisent la déforestation tropicale aux yeux du grand publique.

Dans le même temps, l’ONU et la FAO ont qualifié d’alarmante la déforestation, aussi responsable de 4,3 à 5,5 Gigatonnes d’équivalent CO2 d’émissions de gaz à effet de serre, soit plus de 10 % des émissions d’origine anthropique. Rappelons que les forêts jouent un rôle prépondérant dans la fixation du CO2 atmosphérique et que 40% du carbone terrestre est stocké dans la végétation et les sols forestiers.

Il est urgent de mettre au point des méthodes de reforestation ou de restauration forestière qui, non seulement contribue à rééquilibrer une balance carbone en déficit croissant du fait d’un accès de plus en plus massif à une économie de consommation, mais qui tend, de plus, à endiguer l’effondrement mondial de la biodiversité. Ainsi, le photographe franco-brésilien Sebastião Salgado a replanté avec succès 600 hectares de forêts tropicale en 20 ans dans l’Etat du Minas Gerais, au sud-est du Brésil, classée depuis « réserve privée du patrimoine naturel » (RPPN). Constituée de nombreuses espèces d’arbres endémiques de la région, cette initiative unique a permis la restauration d’une biodiversité exceptionnelle.

S’appuyant sur une expérience scientifique de près de 30 ans de plusieurs de ses membres en matière d’écologie des sols tropicaux, le Fond Taxonomia pour la Biodiversité a décidé de s’engager dans cette voie au travers d’un programme de recherche et d’expérimentation entièrement dédié. Les axes d’investigation privilégiés, au travers d’inventaires taxonomiques, d’études d’écologie et de multiples partenariats, seront d’examiner les influences réciproques entre techniques de reforestation tropicale, d’une part, et deux artisans fondamentaux de la biodiversité des écosystèmes que sont les organismes du sol et les insectes pollinisateurs, d’autre part. Plusieurs projets exploratoires sont à l’étude au Panama, en Guyane française, en Colombie, au Gabon, et, à moyen terme, à Madagascar et en Indonésie.


Agroécologie

Comment les techniques d’agroécologie et d’agroforesterie affectent-elles les organismes du sol, la fertilité des sols et les insectes pollinisateurs ?

Quelles conséquences pour la biodiversité et pour l’agriculture de demain ?

La révolution verte entamée dans la seconde moitié du 20e siècle, avait pour principe le développement d’une agriculture intensive basée sur la monoculture de variétés sélectionnées à haut rendement, l’utilisation massives d’intrants que sont les engrais minéraux et les pesticides, ainsi que l’irrigation. Ces nouvelles méthodes permises par les avancées technologiques d’alors, notamment dans les domaines de la chimie et de la sélection génétique, associées à un important travail du sol par le labour, ont eu pour résultat un accroissement spectaculaire de la productivité agricole et une croissance démographique de la population mondiale sans précédent. Elles ont eu, cependant, pour autres conséquences une dégradation et une pollution générale des sols ainsi qu’une déforestation et un effondrement de la biodiversité d’une ampleur planétaire.

Face à ce constat, de nombreuses réactions apparaissent. Aujourd’hui, cultures associées, cultures sans labour, push-pullpermaculture, synergie cultures-élevage et plus généralement agroécologieagroforesterie et solutions locales gagnent en popularité et se développent partout dans le monde.

Cependant, si l’on sait que l’ensemble de ces technologies favorisent la diversité fonctionnelle des organismes du sol et des pollinisateurs, c’est-à-dire la diversité des fonctions assurées par ces cohortes d’espèces, on sait peu de choses sur le rôle précis de ces pratiques sur les espèces elles-mêmes. Quelles espèces sont-elles favorisées ? Quelles conséquences pour les espèces rares ? Les sites ainsi cultivés peuvent-ils servir de refuges à des espèces en danger ou au contraire favorisent-ils des espèces communes ?

Plus généralement, comment ces pratiques culturales influent-elles sur la diversité des espèces du sol et des insectes pollinisateurs, de l’échelle locale à l’échelle régionale, en milieu tropical comme en milieu tempéré ? C’est l’objet de ce programme à long terme en cours de développement avec de nombreux partenaires, en plein champ comme en milieu expérimental.